Matinée Fraîche [Peter]

Elle ouvrit les yeux sur l'écran digital de son réveil, pas très loin de sa tête encore endormie. 7h43. Mmm... Elle fut tentée un moment de se retourner contre le dos de son fiancé et de replonger dans les songes qu'elle avait jusque-là entretenu, un drôle de rêve où elle assistait à son propre enterrement. Mais ça n'était pas un cauchemar, loin de là. Les gens présents, en tenue traditionnelle de son pays, riaient et chantaient ensemble, sans sembler remarquer sa présence... C'était étrangement apaisant, comme image. Cependant, elle était maintenant parfaitement réveillée, et savait que, même en se retournant, elle ne parviendrait pas à se rendormir.

Elle sortit donc du lit et, ses pieds frissonants contre le sol froid, se saisit de son pull qui traînait sur la chaise, à quelques mètres de là, pour le passer par-dessus son pyjama, avant de discrètement sortir dans le salon, qu'elle traversa pour atteindre la cuisine et se préparer un thé, sa boisson du matin. Les fenêtres semblaient toutes annoncer la même chose : l'hiver arrivait à grands pas. Le ciel était gris. Elle tourna le termostat du radiateur, afin de réchauffer un peu la pièce, avant d'apprécier le calme de l'appartement, le matin. Personne, encore, ne semblait réveiller. Nous étions dimanche, c'était pour ça.

Elle songea à nouveau au rêve étrange qu'elle avait fait. Ce qui la tracassait le plus était de savoir pourquoi la scène avait eu lieu en Chine, et non en Amérique, comme il aurait été logique que l'on s'y attende. Elle frissona à cette pensée, pas seulement de froid. Mais bien sûr, ça n'était qu'un rêve. Jamais Peter ne la laisserait tomber... Pourtant, cette allusion à son pays la frappa tant qu'elle se résigna à écrire à ses parents. C'était une sorte de corvée dont elle ne se chargeait qu'une ou deux fois par trimestre, racontant par bribes la vie qu'elle menait dans ce pays de Cocagne où elle vivait à présent. Elle tâchait de ne pas trop les faire envier son sort, mais il était difficile de ne pas s'extasier sur son bonheur présent.

Elle fouilla dans les tiroirs pour y dénicher un bloc de papier et un stylo, et commença à tracer sur la feuille des caractères en mandarin. C'était maintenant presque ce langage, qui était pourtant sa langue maternelle, qui lui parraissait étranger. Cette syllabe, la forme-t-on comme ça, ou est-ce que je confonds ? Est-ce que la phrase tournée de cette façon est correcte ? Elle tapotait machinalement sur la table avec son stylo retourné, en quête d'idées à raconter. Certes, sa vie était belle et intéressante, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'en en découvrant les détails, ses parents la trouveraient futiles et, si un problème se présentait à elle, elle n'osait pas leur en parler, de peur qu'ils ne pensent *oh, pauvre petite fille riche !*.

Le ciel par la fenêtre s'éclaircissait peu à peu, passant d'un gris-bleu foncé à un gris clair, presque blanc. Elle pouvait voir les gens en cache-nez commencer à circuler en bas de la rue. Elle savourait la chaude torpeur de son dimanche matin, assise sur sa chaise comme elle l'aurait été sur le sol, les pieds sur l'assise, le genou à hauteur du menton, se rapprochant de la grande table lorsqu'une idée lui venait qu'elle griffonait aussitôt sur son papier blanc. Une chanson des Beatles trottait dans sa caboche.

Keeping an eye on the world going by my window, taking my time, lying there and looking at the ceiling, waiting for a sleepy feeling...

Jade fut surprise de sentir les lèvres de son fiancé dans son cou, elle vait été tellement plongé dans son écriture qu'elle ne l'avait pas entendu venir, mais sa main, comme dans un réflexe, vint quand même doucement lui caresser la tête, alors qu'elle lâchait un petit soupir.

"Salut trésor", murmura-t-elle tandis qu'elle le laissait se préparer un café, tout en continuant à tracer ces caractères étranges sur le papier devant elle. Elle entendait la machine fonctionner, pouvait imaginer chaque geste qu'il faisait en attendant que le tout ne chauffe, jusqu'à ce qu'enfin, le liquide brun bouillant ne se retrouve dans la tasse qu'il tiendrait au coeur de ses mains, comme pour les réchauffer. Elle connaissait chaque geste, chaque habitude, chez lui, et elle s'en félicitait.

D'ailleurs, maintenant qu'il était là, elle leva la tête de ce qu'elle était en train d'écrire lorsqu'il revint au salon, précédé de l'odeur de café chaud qui prendrait bientôt possession des lieux. Mieux valait ça qu'un accroc à la nicotine dès huit heures du matin.

"Je suis désolée si je t'ai réveillé !", s'empressa-t-elle de s'excuser en se retournant sur sa chaise, à présent totalement désintéressée de la lettre qu'elle avait commencé, et qui ne contenait finalement que des banalités. "Je n'arrivai plus à dormir, un drôle de rêve... Ca m'a fait penser qu'il fallait que j'écrive à ma famille, histoire de donner des nouvelles..."

Elle avala quelques gorgées de son thé après avoir définitivement posé son stylo, la lettre abandonnée sur la table. Elle la rangerait plus tard.

"Une promenade tous les deux ? C'est une superbe idée !", s'exclama-t-elle, car cette pensée la ravissait vraiment tout à fait.

Après tout, elle avait quasi l'impression de voir moins son fiancé depuis un an qu'ils vivaient ensemble que pendant les années précédentes, où ils s'arrangeaient alors toujours pour se voir et s'accorder des moments de détente tous les deux. A présent, le fait d'habiter au même endroit faisait qu'ils ne prenaient plus cette peine et finalement, ils rentraient tard, se levaient tôt, et les rares moments où ils étaient à la maison en même temps, la petite soeur y était aussi... C'était comme avoir un enfant avant l'heure.

*Peut-être sommes-nous devenu un couple routinier* songea Jade avec, certes, une petite amertume, mais aussi quelque chose de triomphant, parce que c'était au fond la marque d'une relation durable... Si seulement un beau petit mariage avait pu vraiment sceller le tout. Bah, elle se débrouillerait pour évoquer le sujet plus tard dans la journée...

"Le plus tôt sera le mieux !", enchaîna-t-elle en sautant presque de sa chaise pour aller lui poser une bise sur la joue. "On pourrait en profiter pour prendre des croissants... Je vais aller m'habiller..."

L'idée l'enchantait de plus en plus, et c'est presque en sautillant qu'elle se dirigea vers la salle de bain, commençant à déboutonner son haut de pyjama avant même d'en avoir vraiment franchi la porte.